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16.2.21

Qu'est-ce qu'apprendre ?

Le premier mot de "Apprendre le smartphone", C'est "apprendre".

Si ce blog et son objectif ne sont la pédagogie en elle-même, je suis de plus en plus impressionné par l'importance de celle-ci dans les bons (ou moins bons) résultats dans mes formations.

Je ne peux que partager avec vous ce qui vous concerne autant que moi !

Je vous incite à y réfléchir et suis à votre disposition pour échanger réflexions, questions et conseils.


Qu'est-ce qu'apprendre ? 



L'article de Philippe Perrenoud  "Qu'est-ce qu'apprendre ?" de la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation Université de Genève m'a semblé présenter une très bonne synthèse du sujet.

Je vous conseille la lecture complète de l'article que je vais ici seulement résumer en citant de larges extraits :

Apprendre, c'est désirer


On peut préférer ne pas savoir fait remarquer l'auteur.
Préférer la tranquillité, moins d'efforts, moins de tracas.

S'il peut travailler à le développer, "l'éducateur ou l'enseignant n'a de prise que sur les sujets dont le désir est " déjà là ", développé au sein de leur famille ou à la faveur d'un heureux accident dans leur histoire de vie".


Apprendre, c'est persévérer


Il faut une immense patience, supporter des régressions, des stagnations.

Il faut être capable de se projeter dans le futur pour ressentir de l'intérêt et du sens.

Apprendre, c'est construire


Le savoir ne se transmet pas.

L'écoute et la mémorisation ne suffisent pas.

Il faudra toujours un travail de mise en ordre et en relation, de réorganisation des connaissances déjà engrangées, c'est-à-dire "un travail de reconstruction d'une partie plus ou moins vaste de notre système cognitif".

"Transmettre des savoirs, c'est en réalité permettre à l'autre de les reconstruire, autrement dit créer des situations qui provoquent une activité mentale de haut niveau, obligeant l'apprenant à se confronter à des obstacles et, pour les surmonter, à dépasser l'état de ses connaissances. 

Quant aux compétences, elles se transmettent encore moins, elles se construisent au gré d'une expérience et d'une réflexion sur l'expérience"

Pas question de nier le rôle magistral du cours et de la parole.

Mais sans l’organisation d'exercices, par l'élève seul, ou dans une stratégie didactique, il ne restera rien de ce qui aura été seulement entendu.


Apprendre, c'est interagir


"On apprend en se confrontant au réel et ce dernier s'incarne en partie dans la pensée et l'action d'autrui".

"Apprendre, c'est parfois s'isoler, pour mieux " se battre " avec un livre ou un texte à rédiger. C'est aussi interagir avec un ordinateur ou un dispositif technologique. C'est au moins autant s'impliquer dans des tâches coopératives ou dans des interactions plus conflictuelles avec autrui".

"La dimension sociale de l'apprentissage a une autre face encore : apprendre peut rapprocher aussi bien que séparer des autres. Certains troubles de l'apprentissage ne sont pas dus à des manques intellectuels ou culturels, mais à des conflits de loyauté.

Certains romans d'Annie Ernaux décrivent ce dilemme : réussir à l'école, pour certains enfants, c'est s'éloigner de leurs parents, n'avoir plus rien à leur dire, voire succomber à la tentation d'en avoir honte.
On peut ne pas apprendre pour ne pas quitter sa tribu ou apprendre pour s'intégrer à une nouvelle tribu…"


Apprendre, c'est prendre des risques


" L'erreur, un outil pour enseigner ", écrit Jean-Pierre Astolfi. Essayer, échouer, recommencer, analyser ses erreurs est sans doute la seule façon d'apprendre durablement. [...]
Nul ne peut apprendre sans se mettre en déséquilibre, volontairement ou non.

Se mettre en déséquilibre, c'est prendre tous les risques.

Si "cela marche", un cercle vertueux se met en place et les échecs, dédramatisés et relativisés, servent pleinement l'apprentissage.

Si, par contre, le succès tarde à venir ou le manque de confiance en soi est plus fort, c'est le cercle vicieux de la peur et de l'humiliation.

Tout le monde ne part évidemment pas à armes égales dans ce combat :

"Ceux qui apprennent vite et bien sont prêts à continuer, puisqu'ils y trouvent leur compte ; les risques d'échec et d'humiliation les effraient donc de moins en moins, sauf dans le cas pathologique d'un désir de perfection absolue et immédiate.

Ceux qui apprennent lentement et laborieusement perdent au contraire l'envie d'apprendre, le coût émotionnel l'emporte sur les profits promis, d'ailleurs à long terme et sans certitude."


Apprendre, c'est changer


"On dit que quiconque a appris à nager ou à aller à bicyclette le sait pour la vie. C'est vrai de la plupart des apprentissages. Certes, on peut oublier des informations, des formules, des définitions, des algorithmes. On ne retrouve jamais son état antérieur, son " innocence originelle " sauf en cas de lavage de cerveau.

Au fil des apprentissages, on devient quelqu'un d'autre, on transforme sa vision du monde et des problèmes. Certains ne s'en rendent pas compte, d'autres vivent fort bien ce changement intellectuel, mais aussi identitaire, d'autres encore y résistent vigoureusement.

C'est une extension du " refus de grandir " l'intuition qu'une fois qu'on saura lire, ou qu'on aura des notions de calcul des probabilités, ne monde ne sera plus comme avant, il faudra assumer plus de responsabilités et certaines tâches ingrates.

Ne pas apprendre pour ne pas savoir est encore la plus sûre défense contre le partage des tâches ménagères, par exemple…"


Apprendre, c'est exercer un drôle de métier


ou: toute l’ambiguïté de bons sentiments normalisateurs.

Philippe Perrenoud fait remarquer qu'apprendre nécessite des techniques et quasiment un "statut" particulier comprenant des règles et des "devoirs" de comportements:

"Apprendre devient un métier dans un sens plus large : il faut s'approprier ses rites, son langage et ses ficelles, pour appartenir au " corps apprenant ".
Il faut acquérir les ruses et les routines qui permettent de s'acquitter de ses tâches avec une certaine économie de temps et de moyens.

Il faut apprendre à " se ménager " et à se protéger pour survivre et durer dans le métier d'élève.

Certains enseignants pensent qu'il faut enseigner ce métier aux élèves.

Sans doute est-ce une ambition des premières années du cursus : produire des élèves " en état de marche ", équipés, organisés, attentifs, actifs, travailleurs, concentrés, polis, bref dotés de toutes les qualités dont les bulletins scolaires déplorent l'absence.

Cette tentative de prendre le contrôle du métier est un rien naïve : un métier, c'est aussi une culture commune permettant d'échapper au travail prescrit et au contrôle.

C'est une sorte de dispositif qui se construit en partie contre l'organisation et permet de survivre face à des attentes exorbitantes."


Apprendre, c'est mobiliser et faire évoluer un rapport au savoir


Le savoir n'a pas d’existence "en soi".

Chacun a son rapport "au savoir".

"Le rapport au savoir, ce n'est pas le savoir, c'est l'ensemble des relations affectives, cognitives et pratiques qu'un sujet entretient aux savoirs et à l'apprendre.

Le savoir est une composante permanente de notre environnement, comme le pouvoir, l'incertitude, l'espace, etc...

Au fil de notre expérience, nous développons un rapport à ces composantes, un rapport fait de dispositions, de goûts, d'attitudes, de représentations, d'habitudes, de désirs et de peurs".

En fonction de ses représentations personnelles, chacun son rapport au savoir.

Il ne le détermine pas entièrement, mais peut constituer un très lourd handicap, un barrage presque infranchissable le jour où un élève a construit un rapport défensif, méfiant ou cynique à une discipline, une notion, une méthode, une posture intellectuelle.
Faire évoluer le rapport au savoir est donc l'un des enjeux de toute action éducative.

L'article de Philippe Perrenoud mène beaucoup plus loin 


Peut-on lui reprocher ?

Son article est adressé avant tout au corps enseignant.
Ce sont d'ailleurs les passages les plus spécialisés que j'ai résumés.

Voir plus loin n'est pas mieux prépare l'avenir ?

À l'heure où le savoir est en "libre distribution" sur Internet, la priorité n'est-elle pas de se poser la question de leur acquisition ?

Acquisition, qui, on le voit, n'est pas si simple.

Que ces larges extraits de cet article, de Philippe Perrenoud  "Qu'est-ce qu'apprendre ?", vous donne envie de le lire intégralement à prolonger et mettre en œuvre ces réflexions.

Merci à lui.

Merci à vous de me dire ce que vous en pensez et les conclusions que vous en tirez.
pierre.rene654@gmail.com