Mais adopter un nouvel outil n'est jamais anodin et peut bloquer.
Il est alors capital de savoir pourquoi !
C'est un sujet sur lequel je voulais depuis longtemps m'expliquer et j'ai trouvé le temps de me replonger dans de très anciennes lectures et mes notes (manuscrites) de l'époque et vous proposer ma réponse.
Vous me direz ce que vous en pensez.
L'outil, le cerveau et l'évolution humaine : une dialectique depuis toujours complexe
L'outil comme facteur d'hominisation
Selon l'anthropologue André Leroi-Gourhan, l'outil est un élément clé dans le processus d'hominisation, c'est-à-dire la différenciation de l'homme par rapport aux autres animaux.
Il définit l'outil comme un organe amovible, qui prolonge et modifie les fonctions biologiques de l'organisme.
L'outil permet à l'homme de s'adapter à son environnement, de le transformer et de le maîtriser.
Leroi-Gourhan distingue deux types d'outils :
- les outils techniques, qui servent à agir sur la matière,
- et les outils symboliques, qui servent à communiquer et à exprimer des idées.
Leroi-Gourhan soutient que l'utilisation des outils a entraîné une libération de la main et du cerveau chez les hominidés.
En libérant ses mains, l'homme a pu les utiliser pour manier des outils et se mettre à travailler.
Leroi-Gourhan souligne ainsi que la réflexion a précédé le passage à la station debout : l'outil est le propre de l'homme, car il a d'abord fallu réfléchir avant d'utiliser des outils.
C'est une preuve d'intelligence.
En libérant son cerveau, l'homme a pu développer ses capacités cognitives, notamment la mémoire, l'anticipation et le langage.
Leroi-Gourhan explique que le cerveau humain s'est agrandi et complexifié au cours de l'évolution, grâce à la libération du verrou iniaque, qui a permis l'ouverture de l'éventail cortical. (Cairn.inf)
Le cortex moyen, qui est responsable des fonctions supérieures comme la pensée abstraite et le raisonnement, a ainsi bénéficié d'un espace supplémentaire.
Le cerveau humain est donc le résultat d'une adaptation fonctionnelle aux besoins techniques et symboliques de l'homme.
L'outil comme facteur d'extériorisation
Toutefois, l'utilisation des outils n'a pas seulement permis à l'homme de se libérer, mais aussi de s'extérioriser.
Leroi-Gourhan montre que l'homme a progressivement transféré une partie de ses fonctions biologiques vers des supports externes, qu'il appelle des mémoires artificielles.
Ces mémoires artificielles sont des outils symboliques qui servent à conserver et à transmettre des informations, comme l'écriture, les images ou les nombres.
L'extériorisation, phénomène paradoxal renforçant et affaiblissant à la fois
Leroi-Gourhan considère que l'extériorisation est un phénomène paradoxal, qui témoigne à la fois de la puissance et de la faiblesse de l'humain.
D'un côté, l'extériorisation permet à l'homme de dépasser les limites de son organisme, de stocker une quantité illimitée de données et de les partager avec ses semblables.
De l'autre côté, l'extériorisation implique une perte de contrôle sur les outils, qui acquièrent une autonomie et une logique propres.
Leroi-Gourhan parle ainsi d'une "tendance technique", qui oriente le développement des outils selon des critères d'efficacité et de rationalité.
L'outil comme facteur d'inhibition
Enfin, l'utilisation des outils n'a pas seulement permis à l'homme de s'extérioriser, mais aussi de s'inhiber.
Leroi-Gourhan observe que les outils ont un effet stabilisateur sur le comportement humain, qui tend à se conformer aux normes techniques et culturelles établies.
Les outils créent ainsi des habitudes conservatrices, qui freinent l'évolution du cerveau et de la société.
Leroi-Gourhan illustre ce phénomène avec l'exemple du langage oral et écrit.
Il explique que le langage oral est un outil symbolique qui permet à l'homme de communiquer avec ses semblables, mais aussi de penser et de se représenter le monde.
Le langage oral est donc un facteur d'évolution cognitive et culturelle.
Cependant, le langage oral est aussi un facteur d'inhibition, car il impose des règles grammaticales et sémantiques qui limitent la créativité et la diversité des expressions.
Le langage écrit, quant à lui, est un outil symbolique qui permet à l'homme de conserver et de diffuser le langage oral, mais aussi de le complexifier et de le raffiner.
Le langage écrit est donc un facteur d'évolution technique et intellectuelle. Mais le langage écrit est aussi un facteur d'inhibition, car il fige le langage oral dans des signes conventionnels et rigides, qui réduisent la spontanéité et la vivacité des échanges.
Le smartphone, outil concentrateur des ambivalences de tous les outils
Le smartphone est un exemple d'outil qui combine les caractéristiques des outils techniques et symboliques.
Il permet à l'homme de réaliser de nombreuses tâches, comme appeler, envoyer des messages, prendre des photos, naviguer sur Internet, écouter de la musique, jouer à des jeux, etc.
Il permet aussi à l'homme de se connecter avec d'autres personnes, de s'informer, de se divertir, de s'éduquer, etc...
Le smartphone est donc un outil qui offre une grande liberté et une grande diversité d'usages.
Mais le smartphone est aussi un outil qui pose des défis d'adaptation aux générations qui ne sont pas nées avec lui
Pour adopter le smartphone, il faut accepter de faire le deuil des outils qu'on avait pris l'habitude d'utiliser, comme le téléphone fixe, l'appareil photo, le lecteur CD, etc... même si certains comme le magnétophone, magnétoscope, tourne-disque ont disparu de l'usage courant.
Il faut aussi accepter de changer ses habitudes, ce qui est le plus dur.
Changer ses habitudes, c'est renoncer à ce qui était familier et confortable.
C'est aussi prendre le risque de se tromper, de se perdre ou de se frustrer.
Tant de raisons évoquées devant les difficultés !
Certaines personnes peuvent se trouver toutes les raisons du monde pour ne pas abandonner leurs anciennes habitudes.
- Elles peuvent penser que le smartphone n'est pas pour elles, qu'il est trop compliqué, trop cher ou trop dangereux.
- Elles peuvent penser que le smartphone va les couper du monde réel, les rendre dépendants ou les espionner.
- Elles peuvent penser que le smartphone va les empêcher de penser par elles-mêmes, de lire des livres ou d'écrire des lettres.
- Elles peuvent penser que le smartphone va les faire vieillir plus vite, les rendre malades ou perdre la tête.
Ces raisons sont compréhensibles, mais elles sont souvent basées sur des peurs ou des préjugés infondés.
La résistance au changement, une réalité prégnante
Ces raisons sont aussi souvent motivées par une résistance au changement, qui peut être ressentie comme :
- une trahison de son passé,
- une perte de son identité
- ou une soumission à la mode.
Mais ces raisons sont aussi des obstacles à l'évolution personnelle et sociale.
Alors, que faire ?
L'évolution n'est pas une option ni un choix, mais une réalité de la vie elle-même.
L'homme est un être en perpétuelle transformation, qui doit s'adapter aux changements de son environnement et de ses outils.
Le smartphone n'est qu'un outil parmi d'autres, qui peut être utilisé pour le meilleur ou pour le pire.
L'important n'est pas l'outil en lui-même, mais l'usage qu'on en fait :
- Chacun peut apprendre à utiliser le smartphone à sa manière, selon ses besoins et ses envies.
- Chacun peut trouver un équilibre entre le virtuel et le réel, entre la connexion et la déconnexion, entre l'information et la réflexion.
- Chacun peut profiter des avantages du smartphone sans renoncer aux plaisirs simples de la vie.
- Chacun peut aussi se sentir fier des progrès qu'il fait dans l'apprentissage du smartphone.
Même si ces progrès sont petits ou lents, ils sont significatifs et gratifiants. Ils témoignent d'une volonté d'évoluer, d'une curiosité d'esprit et d'une ouverture au monde.
Chacun peut donc participer à l'intérieur du changement, sans rester à l'extérieur à ne faire que regretter et ronchonner.
Cela demande du courage, de la patience et de la persévérance.
Mais cela apporte aussi du plaisir, de la joie et de la confiance. Cela permet aussi de rester actif, créatif et connecté.
Cela contribue enfin à l'épanouissement personnel et au bien-être collectif.
Le smartphone, outil de notre évolution
Le smartphone est donc un outil qui peut nous aider à évoluer, si nous savons l'utiliser avec discernement, modération et responsabilité.
Il ne faut pas le craindre ni le rejeter, mais l'apprivoiser et l'intégrer.
Il ne faut pas le subir ni en dépendre, mais le maîtriser et l'enrichir.
Il ne faut pas le considérer comme une fin en soi, mais comme un moyen parmi d'autres de vivre pleinement sa vie.
Références bibliographiques :
- La technique - Tle - Théories Philosophie - Kartable
- Leroi-Gourhan : Tendances techniques et cognition humaine - Cahiers COSTECH
- L'interprétation de la technique et du langage chez Leroi-Gourhan - Cairn.info
- André Leroi-Gourhan :
- Le geste et la parole. I Technique et langage II La mémoire et les rythmes III Albin Michel
- Evolution et techniques : I L'homme et la machine II Milieu et techniques Albin Michel
Oral contre écrit : quand Platon dénonçait déjà le progrès... de l'écriture, provoquant une "perte de la véritable philosophie"
Platon 428-348 av.JC. (Wikipedia) |
Vous avez des valeurs qui vous sont chères, mais vous ne les retrouvez pas dans les outils modernes
Vous pouvez choisir entre deux attitudes : ne rester que fidèle au passé ou s'ouvrir à l'avenir
Rester fidèle au passé pour le célébrer
S'ouvrir à l'avenir en gardant son vécu, ses valeurs
- Les partager avec les autres dans le monde numérique et ses nouveaux outils.
- Les transmettre avec les moyens d'aujourd'hui.